Écrit par Ja_aveccheveux le Jul 10, 2021 20:41:54 GMT -5
Résumé: À la suite du Spectre: Convaincu d'avoir trahi la confiance du Capitaine, Flavien fera tout pour prouver à celui-ci qu'il est encore digne de confiance, quitte à s'épuiser à la tâche. Qu'arrivera-t-il lorsque le livreur de pizza viendra hanter le vaisseau? 30 Morts… ou presque! 19. Mort de fatigue
Sous les Apparences
30 Morts… ou presque!
Mort de fatigue
Partie 1
Tout le monde dormait, sauf bien sûr le Capitaine... le Capitaine, et exceptionnellement, Flavien aussi.
Il se tournait et se retournait dans son lit. Le spectre qu'il avait rencontré, il avait bien cru que c'était son père. Il l'avait vraiment cru, à un tel point qu'il n'avait pas porté attention aux détails. Il y avait bien sûr la grandeur de son soulier qui ne correspondait pas à celui qu'il avait hérité en souvenir de ses parents.. mais au-delà de celui-ci, le spectre du Capitaine Fafard ne lui ressemblait pas du tout, même s'il avait essayé de se faire croire le contraire. Ni les yeux, ni la forme du visage, ni même les coudes n'étaient semblables entre les deux hommes.
Flavien se sentait un peu idiot d'y avoir cru. Les chances qu'il trouve l'identité de son père étaient tellement minimes, particulièrement ici, à des milliers d'années lumière de la Terre.
/J'suis dont ben cave d'avoir pensé qu'il était mon père… j'le saurai jamais c'est qui, il a jamais voulu de moi. Même s'il était mort, il reviendrait jamais voir un fils aussi niaiseux que moi./
Flavien se retourna une fois de plus dans son lit.
Il repensa à ses agissements pendant la visite du Capitaine Fafard. Il avait mal agit. Il avait posé des gestes indignes d'un membre d'équipage de la Fédération Planétaire… Pire, il avait trahi son Capitaine. Il avait trahi le Capitaine Patenaude, le plus grand homme qu'il ait jamais connu. Il était surpris que le Capitaine ne l'ait pas mis aux arrêts. Lorsque Flavien avait détourné le regard du Capitaine Fafard, celui-ci s'était évaporé en un gémissement de désespoir, et quand il avait finalement levé les yeux, délaissant la paire de souliers dans ses mains, le regard du technicien radar avait croisé celui du Capitaine Patenaude… Il le regardait avec… de la pitié? Ou bien cela avait-il été de la tristesse? Une marque que la trahison de son membre d'équipage avait laissé dans son regard et que Flavien n'arrivait pas à effacer de sa mémoire.
Bien sûr que le Capitaine se sentait trahi! Flavien sentit la chaleur monter à ses joues. Il avait honte, tellement honte de ses agissements. Il avait désobéi, il avait donné le contrôle du vaisseau à un spectre malveillant et il avait failli faire échouer la mission en laissant le spectre ramener le vaisseau sur Terre, humiliant le Capitaine Patenaude par la même occasion. Tout ca, parce qu'il avait cette obsession de retrouver son père.
/Grandis donc un peu! Ça serait le temps que tu agisses enfin comme un homme./
Il eut un pincement au coeur. Comment pourrait-il prouver au Capitaine Patenaude qu'il regrettait vraiment ses décisions? Un vulgaire numéro 7, qui passe son temps à échouer, qui ne peut même pas obéir à des ordres simples?
Flavien savait qu'en temps qu'opérateur radar, il était utile… parfois. Mais en dehors des champs d'astéroïdes et autres obstacles célestes, que faisait-il vraiment?
/Pas grand chose… j'suis vraiment inutile.../
Une pensée vint alors éclairer son esprit. Il allait devenir utile. Il allait se racheter au près du Capitaine Patenaude, même si cela lui coûtait tous ses efforts et tout son temps libre. Il allait donner tout ce qu'il avait pour regagner une petite place dans l'estime du Capitaine, ne serait-ce qu'une minuscule petite place.
Il tendit l'oreille: tous les autres dormaient profondément. Même Serge était sur la charge, Flavien pouvait distinguer les crépitements électroniques de son module de charge.
Il repoussa ses couvertures et descendit de son lit sans faire de bruit. Il ramassa son uniforme et ses chaussures, et sortit.
Il se dirigea vers la Salle des Machines à pas feutrés afin de ne pas alerter le Capitaine, et une fois arrivé, il se mit à la tâche.
Il était 5 heures du matin et Flavien était revenu dans son lit. Depuis déjà 3 semaines, c'était la même routine: Il se couchait en même temps que les autres, attendait que ceux-ci s'endorment profondément, puis sortait silencieusement de la Cabine de Repos et s'attelait à son horaire maintenant bien établi. Il faisait l'inspection des systèmes, puis révisait sa liste grandissante de réparations, d'entretient et de nettoyage du vaisseau. Ce n'était pas difficile de trouver quelque chose à faire, certains morceaux lâchaient à intervalles réguliers. Bizarrement, ceux-ci avaient souvent l'inscription SC, mais Flavien ignorait ce que cela signifiait.
Lorsqu'il avait fini pour la nuit, habituellement vers 4 heures et demi, il allait à la salle de bain se laver les mains et parfois passer un linge savonneux sur ses bras et son visage, puis il allait se coucher pour deux heures… Deux petites heures avant qu'il doive se lever pour son quart de travail régulier.
La première journée n'avait pas été trop difficile. Les jours qui suivirent furent pénibles, le manque de sommeil le rattrapait. Puis, c'est comme si son corps s'était forgé une résistance au manque de sommeil et il ne ressentait plus aussi intensément l'appel de son lit. Il se félicita d'avoir persévéré.
Maintenant, il était dans un état constant d'alerte, mais toujours un peu embrouillé. Il n'avait plus aussi faim que d'habitude, mais il se forçait tout de même à manger un peu, ne serait-ce que pour avoir l'air normal.
Il savait que le Capitaine n'approuverait pas qu'il reste debout la nuit, mais lorsqu'il lui apportait le rapport de ses réparations quotidiennes, le sourire qui illuminait le visage du Capitaine valait les efforts que Flavien déployait.
-Votre rendement s'est amélioré Flavien, lui avait même dit le Capitaine.
Flavien rayonnait à chaque fois qu'il pensait à cette phrase, dite avec tant d'enthousiasme. Peut-être que le Capitaine lui pardonnerait sa traîtrise. Peut-être qu'il mériterait sa place sur ce vaisseau.
Flavien ferma les yeux. Deux heures pour dormir: il devait profiter de chaque minute.
Des voix réveillèrent Flavien. Habituellement, il devait se concentrer pour entendre ce qui se passait sur le vaisseau, mais depuis qu'il travaillait durant la nuit, c'est comme si son cerveau ne s'éteignait jamais.
Il tendit l'oreille. Cela sonnait comme la voix de Valence et celle du Capitaine.
-Charles, Flavien m'inquiète.
Le technicien fronça les sourcils. Ils parlaient de lui?
-Comment ça? Son rendement est plus qu'exemplaire.
Flavien aurait timidement souri à cette éloge, si Valence n'avait pas continué.
-Il semble distrait depuis un bout de temps et j'ai remarqué qu'il ne mange pas beaucoup. Es-tu sûr que tu ne le surmène pas?
-Valence, il travaille son quart comme les autres. Je ne lui ai rien assigné de plus.
-Es-tu certain? Je ne le vois jamais quand les quarts sont terminés, il ne passe pas beaucoup de temps avec les autres.
-Je vérifierai avec lui, mais je suis certain. Il a toujours été efficace.
Flavien ignora le compliment du Capitaine et prit mentalement une note pour lui-même. Il devrait passer un peu plus de temps avec les autres membres d'équipage durant les prochains jours, afin que personne ne se doute de rien… peut-être une partie de dames contre Serge, et une partie de poches contre Bob…
Il regarda sa montre: 6h50. Ça ne valait pas la peine d'essayer de se rendormir. Il sortit sa liste de tâches de sous son oreiller et l'examina une minute. Qu'allait-il pouvoir couper? Le Capitaine s'attendait maintenant à son haut rendement. Comment allait-il poursuivre ses tâches?
Au pire, une heure de sommeil suffirait.
Il rangea sa liste à nouveau et attendit.
Les lumières s'allumèrent automatiquement à sept heures. Il n'attendit pas que les grognements et les soupires d'agacement des autres membres d'équipage réveillés en sursaut cessent. Il sauta du lit et se prépara pour son quart.
-Flavien, j'sais pas comment tu fais pour être aussi matinal, grogna Bob d'une voix enrouée en se levant.
L'opérateur radar se retourna et lui lança un regard amical.
-J'étais déjà réveillé, Bob.
-En tous cas, Se mêla Brad dans la conversation, Ça doit être parce qu'un minable comme vous n'a pas besoin de beaucoup d'heures de sommeil pour fonctionner, contrairement à moi, qui ai un grand cerveau à faire fonctionner.
Bob fronça les sourcils.
-Minute…, Fit-il en pensant, Ça veut dire que si moi j'ai besoin de beaucoup de sommeil, que j'ai un grand cerveau moi aussi?
Brad fit un sourire mesquin.
-Non vous, vous dormez pas. Vous êtes dans un coma post digestion. C'est pas pareil.
Les yeux de Bob fixèrent le scientifique un instant.
-Euh… de kessé?
Brad eut un autre sourire hautain, puis quitta la pièce, sûrement pour aller déjeuner.
Bob se retourna vers son ami.
-J'comprends jamais c'qu'y dit…
Flavien lui sourit et lui donna une tape amicale dans le dos.
-C'pas grave mon Bob, c'est jamais ben beau c'qui sort de sa bouche.
Bob sourit à son tour.
-Ouin c'est vrai ça… heille, ça te tente tu une ptite partie de Ouija à soir?
Flavien recula d'un pas.
-Encore? On a eu pas mal de problèmes la dernière fois… j'suis pas sûr que-
-Envoye Flavien! L'interrompit le pilote, J'ai eu ma pizza gratis la dernière fois parce qu'il l'avait livrée en plus qu'une demie heure… mais j'aimerais jouer plus tôt cette fois, il m'a fait promettre de pu faire livrer après 11 heures!
-Bob, j'sais pas si…
-Ste plait Flav…
Devant les yeux piteux de son meilleur ami, Flavien se résigna à accepter. Il avait pas mal négligé son amitié avec Bob durant les dernières semaines, il lui devait bien ça.
-Ok Bob, mais juste le livreur de pizzas ok? J'veux pas d'autres ennuis.
Bob acquiesça avec enthousiasme et alla se préparer lui aussi pour son quart. Flavien alla le rejoindre à la Salle de Commandement 15 minutes plus tard, prêt à travailler.
La journée s'était bien passée, à un détail près. Flavien s'était aperçu qu'il était plus distrait à sa console de radar qu'à l'habitude. Il était un peu plus lent à presser les bonnes touches et à lire les données au Capitaine. Il espérait que celui-ci ne s'en était pas aperçu.
À la fin de son quart, le Capitaine vint se placer à côté de lui et attendit que les autres quittent la Salle de Commandement pour aller à la cuisine voir ce que Serge avait préparé pour souper (car oui, Serge aimait bien cuisiner pour l'équipage, et cela changeait drôlement des tartes aux patates de Valence).
Charles le regarda, inquiet. L'opérateur radar avait eu l'air distrait aujourd'hui, comme lui avait fait remarquer Valence. Il était possible qu'il ait simplement une mauvaise journée mais Charles tenait tout de même à s'assurer du bien être de son équipage. Dans le cas de Flavien particulièrement, car le jeune homme avait tendance à bafouiller ou à se refermer comme une huître à chaque fois qu'on tentait de lui parler de sentiments.
Une fois la pièce vidée, Charles l'approcha.
-Flavien, je voulais juste m'assurer que tout va bien, Commença le Capitaine.
Il mit une main sur l'épaule de son technicien radar, un geste qui avait tellement manqué à celui-ci. Est-ce que le Capitaine lui avait enfin pardonné?
-Ça va Capitaine, pourquoi?
Charles sembla hésiter mais il continua:
-Vous semblez avoir augmenté votre productivité de beaucoup, je voulais seulement m'assurer que vous ne travaillez pas trop…on ne vous voit plus tellement dernièrement, travaillez vous après votre quart?
Flavien se mordit le dedans de la joue: il ne voulait pas mentir… mais il ne voulait pas non plus décevoir le Capitaine.
-Je ne travaille pas les soirs, Capitaine, Finit-il par dire.
Il travaillait tôt les matins, de minuit à 5 heures, avant son quart techniquement…
Le Capitaine sourit.
-Vous êtes vraiment productif, Dit-il avec un regard brillant, Je ne sais pas ce qu'on ferait sans vous!
Un sourire timide illumina le visage du technicien radar.
-Merci, Capitaine, Dit-il simplement.
-On devrait aller souper, Ajouta le Capitaine, Si on veut qu'il en reste!
Les deux hommes se dirigèrent vers la cuisine, rejoignant le reste du groupe pour le repas.
Valence avait observé Flavien discrètement durant toute l'heure du souper. Il avait sa bonne humeur et son sourire habituel. À l'oeil nu, il n'y avait pas de signe quelque chose clochait, mais aux yeux de la psychologue entraînée, il y avait quelque chose d'inhabituel.. quelque chose qui lui faisait penser qu'il y avait plus sous la surface de cette expression joyeuse.
Flavien semblait toujours le même: Il faisait des blagues avec Serge et Bob, vouait le même repect amical au Capitaine qu'à l'habitude et, quand il pensait que personne ne le regardait, il jetait des petits regards doux et timides à Pétrolia, qui venait de sortir de regénérescence.
À sa grande surprise, il se prit une part de son pain baguette de viande (qui ne semblait pas intéresser personne d'autre, abandonné sur le comptoir) et lui fit un petit sourire.
Valence savait par contre que ses mouvements manquaient de précision. Il n'avait pas son adresse habituelle, il échappait ou cafouillait avec ses ustensils ou sa serviette de table et lorsqu'il marchait, ses pieds semblaient traîner sur le plancher.
La psychologue prit note de tout cela et se promit qu'elle approcherait Flavien dès le lendemain afin de cerner ce qui le dérangeait.
Après le souper, comme se l'était promis Flavien, il invita Serge à une petite partie de dames. Serge accepta avec enthousiasme. Flavien était le seul à bord qui puisse lui donner l'impression d'avoir un défi par sa capacité à anticiper et à réagir aux changements de stratégies de ses opposants. Aucun membre d'équipage ne pouvait battre l'opérateur radar et même avec Serge, cela finissait nul, plus souvent qu'autrement.
Les deux s'installèrent dans la Salle de Repos, où ils sortirent une petite table et deux chaises. La planche fut vite placée et ils commencèrent.
Les cinq premières parties finirent à égalité. Serge était particulièrement fébrile, il avait hâte de voir quels coups inattendus Flavien allait poser dans la sixième partie. Celui-ci paraissait concentré: Il ne parlait pas et fixait intensément la planche de jeu.
À la mi-partie, Serge réussit un coup de maître et récupéra six pièces de son adversaire.
-Yes! S'écria-t-il, Qui sera le vainqueur? Flavien, ou Sergeeee l'androïdeeeee!
Il ajouta des effets sonores: Une foule en délire.
Flavien fronça les sourcils. Il n'avait pas vu le coup de Serge venir. Il ne comprenait pas comment il avait fait pour manquer cela, c'était tellement évident... mais il sourit et félicita l'androïde pour son coup.
La partie finit quand même par être nulle.
À la huitième partie, Serge s'aperçut que son opposant, la tête dans sa main, avait l'air de se concentrer anormalement longtemps: 18.3 secondes de plus qu'à l'habitude, en moyenne, depuis les 5 derniers coups. Pourtant, l'androïde et lui n'avaient que quelques pièces restantes.
Il baissa la tête afin de voir le visage de Flavien, et vit que ses yeux étaient mi-clos, papillotant et combattaient le sommeil. Serge soupira. Les humains étaient si fragiles parfois, et souvent têtus. Si Flavien était trop fatigué pour jouer, Serge préférait attendre la prochaine fois. Il n'y avait aucun mérite à jouer contre un adversaire qui n'avait pas toutes ses capacités mentales.
-Flavien...
-Hmm?
L'opérateur radar leva le regard vers son ami.
-Si t'es trop fatigué, Dit l'androïde, on peut reprendre ça demain.
Les paroles du robot eurent l'air de réveiller soudainement le jeune homme.
-Hein? Non non! J'suis pas fatigué!
Serge le regarda un instant. Il pouvait ajouter "orgueilleux" aux qualités humaines. Il décida de ne pas insister sur la fatigue de son ami, mais de lui donner une excuse pour s'arrêter.
-J'ai des choses à faire, de toutes façons, Ajouta l'androïde, On finit demain?
Flavien acquiesça à contre-cœur. Est-ce que le robot s'était aperçu qu'il manquait de sommeil? Il secoua la tête et se leva. Il devait peut-être aller chercher un petit café avant la partie de Ouija avec Bob, question de ne pas être trop distrait. Il n'aimait pas le café, mais il avait commencé à en boire récemment… Juste temporairement, s'était-il dit.
Il se dirigea vers la cuisine, où il croisa Bob, enthousiaste de commander sa pizza.
-T'es tu prêt Flav? Lui demanda le Pilote avec un grand sourire béat.
-Oui oui, laisse-moi 5 minutes pis jte rejoins. Prépare ça mon Bob.
Bob s'éloigna en lui rappelant que ça faisait déjà une heure au complet qu'il n'avait pas mangé: Il avait une faim de loup!
Flavien sourit pendant que son ami sortait de la cuisine.
Cinq minutes plus tard, comme promis, Flavien rejoint Bob pour leur séance de Ouija. Il avait avalé un café et demi en vitesse et était maintenant prêt.
-On commence? Demanda Bob, impatient.
-Let's go, Confirma Flavien.
Bob et Flavien tendirent leurs mains au-dessus de la planche et se concentrèrent, les yeux fermés.
-Livreur de pizzas, Commença Bob avec un air solennel, Amène-Nous une couple de larges all dress… extra T-Bone!
Il réfléchit un instant, puis ajouta:
-Amène donc un ordre de wings pis un Coke… Diète, jsuis au régime là.
Flavien eut un sourire en coin mais ne dit rien.
Ils se concentrèrent une minute de plus, puis Flavien entrouvit les yeux.
-Ça a tu marché tu penses? Demanda-t-il à son ami.
Bob ouvrit ses yeux à son tour.
-J'sais pas. La dernière fois yé venu même s'il avait dit qu'il viendrait pas…
Flavien se leva et s'étira.
-Bon ben, on va attendre pis on verra bien.
-Mouins…
Bob se leva à son tour. Il se dit qu'il aurait mieux fait de commander plus tôt. Il avait la mauvaise impression qu'il n'aurait son ordre que bien plus tard… ce qui était bien dommage, car il avait vraiment faim.
Il alla pour proposer à Flavien d'aller se chercher une couple de poulets rôtis à la cuisine, mais lorsqu'il ouvrit la bouche pour parler, il s'aperçut que son ami était appuyé sur l'échelle de son lit, vacillant légèrement. Sa tête était baissée et ses yeux étaient clos.
-Flavien… Flavien, dors-tu?
L'opérateur radar ouvrit les yeux et leva la tête lentement.
-Hein?
-T'avais les yeux fermés… dormais-tu?
Flavien réfléchit une seconde, cherchant une excuse.
-Je me concentrais, finit-il par dire, J'pensais que j'avais entendu un bruit.
Il espérait que son ami allait le croire. En fait, il s'était presque endormi debout. Il allait devoir faire plus attention, ou Valence allait finir par le pogner.
-T'as entendu le livreur de pizza? S'enquérit Bob.
-C'tait pas lui…
-Oh…
Bob avait l'air déçu mais il haussa les épaules. Ça viendrait.
-On va tu voir à la cuisine en attendant?
La soirée avait passé et les deux amis n'avaient eu aucune nouvelle du livreur de pizza. Une fois les lumières fermées pour la nuit, Flavien fit semblant de dormir comme à son habitude, attendit que tout le monde soit assoupi puis se leva.
Il tendit l'oreille. Après une dizaines de secondes, il déduit que, par le bruit de crayon sur du papier, le Capitaine remplissait son journal de bord. Le champs était libre pour aller dans la Salle des Machines. Il empoigna ses souliers et s'éclipsa sans bruit.
Plusieurs heures passèrent et Flavien achevait de nettoyer le conduit d'alimentation du moteur auxiliaire. Il avait passé la nuit là-dessus et devait se dépêcher de tout remettre en place avant d'aller se coucher. Il tombait de fatigue et se concentrer sur sa tâche devenait de plus en plus difficile. S'il pouvait se rendre à sa petite heure de sommeil...
Il finissait de remettre le dernier écrou, lorsqu'un bruit étrange lui fit lever les yeux.
Il tendit l'oreille et se mit en mode d'écoute.
Le bruit étrange revint… c'était comme des pas, mais cela ne sonnait pas comme la démarche d'aucun des membres d'équipage, qu'il connaissait par cœur. Il y avait aussi un grincement, comme des roues mal huilées qui roulent, mal alignées.
Flavien se mit debout et avança d'un pas.
La porte s'ouvrit, puis se ferma toute seule. Puis ses outils se mirent à voler autour de lui, dansant et flottant n'importe où.
-P...pas encore, Bégaya le jeune homme.
Le Capitaine Fafard était-il revenu?
Il recula jusqu'en arrière du moteur auxiliaire et fixa les objets qui ne cessaient de voler.
-Cap… Capitaine Fa-fa-fa-fard? Bégaya-t-il.
/Quessé j'vas faire, j'ai ben trop la chienne!/
Il se demanda s'il devait déclencher l'alarme, mais une voix se fit entendre.
-Je suis le livreur de pizza, Fit une voix un peu trop sinistre au goût de Flavien, Je remplace Tonio… Je m'appelle Livio.
-A...Ah? Répondit l'opérateur radar, peu rassuré.
-Vous avez commandé… une couple de larges extra T-Bone, des wings et un Coke diète?
-Oui…
-Ça va faire 98,50 $.
Flavien osa contourner le moteur auxiliaire et aperçut le livreur, blême et presque gris. Il était plus grand que Tonio mais portait le même manteau avec le logo de la pizzeria. Il était musclé, presque barraqué, avec des cheveux de surfer, des sourcils épais et une mâchoire carrée. Derrière lui se trouvait une charrette qui contenait toutes les boîtes de pizzas et les divers paquets enveloppés de papier brun. Une grosse bouteille de Coke diète était déposée à l'arrière.
Flavien fouilla dans ses poches et trouva quelques billets, mais pas suffisamment pour payer.
-P… prenez-vous la carte? Demanda-t-il d'une voix tremblotante.
Le spectre fronça ses grands sourcils.
-On utilise pas le débit ou crédit loin comme ça dans l'espace: La connexion ne se fait pas.
Le technicien radar fit un sourire gêné.
-Euh… c'parce qu'on utilise pas vraiment du cash dans l'vaisseau…
Livio prit un air furieux. Il n'était pas question qu'il s'en aille sans son argent.
-Vous voulez me dire que j'ai fait tout ce chemin là pis vous pouvez même pas me payer? S'écria-t-il, s'avançant d'un pas menaçant.
-Euh… b-ben c-c'est parce que… euh...
Flavien bégayait, ne sachant pas trop quoi répondre.
Le spectre s'approcha de lui, à quelques centimètres de son visage.
-Eh bien soit! Je vais rester ici jusqu'à ce que je sois payé… pis même, j'pense que j'vais même m'installer sur ce vaisseau quelque temps, j'en ai assez de travailler comme livreur! On se fait pas assez payer pour avoir à gérer tous ces clients difficiles.
Il prit une grande inspiration et regarda autour de lui, inspectant la pièce.
-J'ai besoin de vacances et ce vaisseau m'a l'air parfait pour avoir la paix, ajouta-t-il avec un petit sourire.
-Hein? V-v-vous y pensez pas? Le Capitaine voudra jamais!
Le spectre leva un sourcil.
-Je me fiche du Capitaine. Je reste ici.
Flavien réfléchit un instant. Ils avaient réussi à se débarrasser du Capitaine Fafard en ignorant sa présence. Peut-être que s'il faisait la même chose avec Livio?
-Bon ben j'ai fini de travailler, dit le jeune homme en s'étirant, ma aller me coucher moi là!
Il regarda vers la porte puis ignora le spectre en ramassant ses outils d'un air nonchalant. Il espérait que Livio n'allait pas lui casser la figure, il était un peu trop imposant à son goût. Il évita de poser ses yeux sur le livreur, espérant que ça fonctionne.
Malheureusement, Livio éclata de rire.
-Ça ne fonctionne pas avec moi, ricana-t-il sinistrement.
Flavien se sentit devenir blême. Il continua tout de même à ignorer le spectre.
-Je suis un spectre sans denier devoir à accomplir, expliqua Livio avec certitude, Les vivants n'ont aucun pouvoir sur moi…
L'opérateur radar serra les dents.
/Quessé j'vas dire au Capitaine moi?/
À suivre.
Sous les Apparences
30 Morts… ou presque!
Mort de fatigue
Partie 1
Tout le monde dormait, sauf bien sûr le Capitaine... le Capitaine, et exceptionnellement, Flavien aussi.
Il se tournait et se retournait dans son lit. Le spectre qu'il avait rencontré, il avait bien cru que c'était son père. Il l'avait vraiment cru, à un tel point qu'il n'avait pas porté attention aux détails. Il y avait bien sûr la grandeur de son soulier qui ne correspondait pas à celui qu'il avait hérité en souvenir de ses parents.. mais au-delà de celui-ci, le spectre du Capitaine Fafard ne lui ressemblait pas du tout, même s'il avait essayé de se faire croire le contraire. Ni les yeux, ni la forme du visage, ni même les coudes n'étaient semblables entre les deux hommes.
Flavien se sentait un peu idiot d'y avoir cru. Les chances qu'il trouve l'identité de son père étaient tellement minimes, particulièrement ici, à des milliers d'années lumière de la Terre.
/J'suis dont ben cave d'avoir pensé qu'il était mon père… j'le saurai jamais c'est qui, il a jamais voulu de moi. Même s'il était mort, il reviendrait jamais voir un fils aussi niaiseux que moi./
Flavien se retourna une fois de plus dans son lit.
Il repensa à ses agissements pendant la visite du Capitaine Fafard. Il avait mal agit. Il avait posé des gestes indignes d'un membre d'équipage de la Fédération Planétaire… Pire, il avait trahi son Capitaine. Il avait trahi le Capitaine Patenaude, le plus grand homme qu'il ait jamais connu. Il était surpris que le Capitaine ne l'ait pas mis aux arrêts. Lorsque Flavien avait détourné le regard du Capitaine Fafard, celui-ci s'était évaporé en un gémissement de désespoir, et quand il avait finalement levé les yeux, délaissant la paire de souliers dans ses mains, le regard du technicien radar avait croisé celui du Capitaine Patenaude… Il le regardait avec… de la pitié? Ou bien cela avait-il été de la tristesse? Une marque que la trahison de son membre d'équipage avait laissé dans son regard et que Flavien n'arrivait pas à effacer de sa mémoire.
Bien sûr que le Capitaine se sentait trahi! Flavien sentit la chaleur monter à ses joues. Il avait honte, tellement honte de ses agissements. Il avait désobéi, il avait donné le contrôle du vaisseau à un spectre malveillant et il avait failli faire échouer la mission en laissant le spectre ramener le vaisseau sur Terre, humiliant le Capitaine Patenaude par la même occasion. Tout ca, parce qu'il avait cette obsession de retrouver son père.
/Grandis donc un peu! Ça serait le temps que tu agisses enfin comme un homme./
Il eut un pincement au coeur. Comment pourrait-il prouver au Capitaine Patenaude qu'il regrettait vraiment ses décisions? Un vulgaire numéro 7, qui passe son temps à échouer, qui ne peut même pas obéir à des ordres simples?
Flavien savait qu'en temps qu'opérateur radar, il était utile… parfois. Mais en dehors des champs d'astéroïdes et autres obstacles célestes, que faisait-il vraiment?
/Pas grand chose… j'suis vraiment inutile.../
Une pensée vint alors éclairer son esprit. Il allait devenir utile. Il allait se racheter au près du Capitaine Patenaude, même si cela lui coûtait tous ses efforts et tout son temps libre. Il allait donner tout ce qu'il avait pour regagner une petite place dans l'estime du Capitaine, ne serait-ce qu'une minuscule petite place.
Il tendit l'oreille: tous les autres dormaient profondément. Même Serge était sur la charge, Flavien pouvait distinguer les crépitements électroniques de son module de charge.
Il repoussa ses couvertures et descendit de son lit sans faire de bruit. Il ramassa son uniforme et ses chaussures, et sortit.
Il se dirigea vers la Salle des Machines à pas feutrés afin de ne pas alerter le Capitaine, et une fois arrivé, il se mit à la tâche.
Il était 5 heures du matin et Flavien était revenu dans son lit. Depuis déjà 3 semaines, c'était la même routine: Il se couchait en même temps que les autres, attendait que ceux-ci s'endorment profondément, puis sortait silencieusement de la Cabine de Repos et s'attelait à son horaire maintenant bien établi. Il faisait l'inspection des systèmes, puis révisait sa liste grandissante de réparations, d'entretient et de nettoyage du vaisseau. Ce n'était pas difficile de trouver quelque chose à faire, certains morceaux lâchaient à intervalles réguliers. Bizarrement, ceux-ci avaient souvent l'inscription SC, mais Flavien ignorait ce que cela signifiait.
Lorsqu'il avait fini pour la nuit, habituellement vers 4 heures et demi, il allait à la salle de bain se laver les mains et parfois passer un linge savonneux sur ses bras et son visage, puis il allait se coucher pour deux heures… Deux petites heures avant qu'il doive se lever pour son quart de travail régulier.
La première journée n'avait pas été trop difficile. Les jours qui suivirent furent pénibles, le manque de sommeil le rattrapait. Puis, c'est comme si son corps s'était forgé une résistance au manque de sommeil et il ne ressentait plus aussi intensément l'appel de son lit. Il se félicita d'avoir persévéré.
Maintenant, il était dans un état constant d'alerte, mais toujours un peu embrouillé. Il n'avait plus aussi faim que d'habitude, mais il se forçait tout de même à manger un peu, ne serait-ce que pour avoir l'air normal.
Il savait que le Capitaine n'approuverait pas qu'il reste debout la nuit, mais lorsqu'il lui apportait le rapport de ses réparations quotidiennes, le sourire qui illuminait le visage du Capitaine valait les efforts que Flavien déployait.
-Votre rendement s'est amélioré Flavien, lui avait même dit le Capitaine.
Flavien rayonnait à chaque fois qu'il pensait à cette phrase, dite avec tant d'enthousiasme. Peut-être que le Capitaine lui pardonnerait sa traîtrise. Peut-être qu'il mériterait sa place sur ce vaisseau.
Flavien ferma les yeux. Deux heures pour dormir: il devait profiter de chaque minute.
Des voix réveillèrent Flavien. Habituellement, il devait se concentrer pour entendre ce qui se passait sur le vaisseau, mais depuis qu'il travaillait durant la nuit, c'est comme si son cerveau ne s'éteignait jamais.
Il tendit l'oreille. Cela sonnait comme la voix de Valence et celle du Capitaine.
-Charles, Flavien m'inquiète.
Le technicien fronça les sourcils. Ils parlaient de lui?
-Comment ça? Son rendement est plus qu'exemplaire.
Flavien aurait timidement souri à cette éloge, si Valence n'avait pas continué.
-Il semble distrait depuis un bout de temps et j'ai remarqué qu'il ne mange pas beaucoup. Es-tu sûr que tu ne le surmène pas?
-Valence, il travaille son quart comme les autres. Je ne lui ai rien assigné de plus.
-Es-tu certain? Je ne le vois jamais quand les quarts sont terminés, il ne passe pas beaucoup de temps avec les autres.
-Je vérifierai avec lui, mais je suis certain. Il a toujours été efficace.
Flavien ignora le compliment du Capitaine et prit mentalement une note pour lui-même. Il devrait passer un peu plus de temps avec les autres membres d'équipage durant les prochains jours, afin que personne ne se doute de rien… peut-être une partie de dames contre Serge, et une partie de poches contre Bob…
Il regarda sa montre: 6h50. Ça ne valait pas la peine d'essayer de se rendormir. Il sortit sa liste de tâches de sous son oreiller et l'examina une minute. Qu'allait-il pouvoir couper? Le Capitaine s'attendait maintenant à son haut rendement. Comment allait-il poursuivre ses tâches?
Au pire, une heure de sommeil suffirait.
Il rangea sa liste à nouveau et attendit.
Les lumières s'allumèrent automatiquement à sept heures. Il n'attendit pas que les grognements et les soupires d'agacement des autres membres d'équipage réveillés en sursaut cessent. Il sauta du lit et se prépara pour son quart.
-Flavien, j'sais pas comment tu fais pour être aussi matinal, grogna Bob d'une voix enrouée en se levant.
L'opérateur radar se retourna et lui lança un regard amical.
-J'étais déjà réveillé, Bob.
-En tous cas, Se mêla Brad dans la conversation, Ça doit être parce qu'un minable comme vous n'a pas besoin de beaucoup d'heures de sommeil pour fonctionner, contrairement à moi, qui ai un grand cerveau à faire fonctionner.
Bob fronça les sourcils.
-Minute…, Fit-il en pensant, Ça veut dire que si moi j'ai besoin de beaucoup de sommeil, que j'ai un grand cerveau moi aussi?
Brad fit un sourire mesquin.
-Non vous, vous dormez pas. Vous êtes dans un coma post digestion. C'est pas pareil.
Les yeux de Bob fixèrent le scientifique un instant.
-Euh… de kessé?
Brad eut un autre sourire hautain, puis quitta la pièce, sûrement pour aller déjeuner.
Bob se retourna vers son ami.
-J'comprends jamais c'qu'y dit…
Flavien lui sourit et lui donna une tape amicale dans le dos.
-C'pas grave mon Bob, c'est jamais ben beau c'qui sort de sa bouche.
Bob sourit à son tour.
-Ouin c'est vrai ça… heille, ça te tente tu une ptite partie de Ouija à soir?
Flavien recula d'un pas.
-Encore? On a eu pas mal de problèmes la dernière fois… j'suis pas sûr que-
-Envoye Flavien! L'interrompit le pilote, J'ai eu ma pizza gratis la dernière fois parce qu'il l'avait livrée en plus qu'une demie heure… mais j'aimerais jouer plus tôt cette fois, il m'a fait promettre de pu faire livrer après 11 heures!
-Bob, j'sais pas si…
-Ste plait Flav…
Devant les yeux piteux de son meilleur ami, Flavien se résigna à accepter. Il avait pas mal négligé son amitié avec Bob durant les dernières semaines, il lui devait bien ça.
-Ok Bob, mais juste le livreur de pizzas ok? J'veux pas d'autres ennuis.
Bob acquiesça avec enthousiasme et alla se préparer lui aussi pour son quart. Flavien alla le rejoindre à la Salle de Commandement 15 minutes plus tard, prêt à travailler.
La journée s'était bien passée, à un détail près. Flavien s'était aperçu qu'il était plus distrait à sa console de radar qu'à l'habitude. Il était un peu plus lent à presser les bonnes touches et à lire les données au Capitaine. Il espérait que celui-ci ne s'en était pas aperçu.
À la fin de son quart, le Capitaine vint se placer à côté de lui et attendit que les autres quittent la Salle de Commandement pour aller à la cuisine voir ce que Serge avait préparé pour souper (car oui, Serge aimait bien cuisiner pour l'équipage, et cela changeait drôlement des tartes aux patates de Valence).
Charles le regarda, inquiet. L'opérateur radar avait eu l'air distrait aujourd'hui, comme lui avait fait remarquer Valence. Il était possible qu'il ait simplement une mauvaise journée mais Charles tenait tout de même à s'assurer du bien être de son équipage. Dans le cas de Flavien particulièrement, car le jeune homme avait tendance à bafouiller ou à se refermer comme une huître à chaque fois qu'on tentait de lui parler de sentiments.
Une fois la pièce vidée, Charles l'approcha.
-Flavien, je voulais juste m'assurer que tout va bien, Commença le Capitaine.
Il mit une main sur l'épaule de son technicien radar, un geste qui avait tellement manqué à celui-ci. Est-ce que le Capitaine lui avait enfin pardonné?
-Ça va Capitaine, pourquoi?
Charles sembla hésiter mais il continua:
-Vous semblez avoir augmenté votre productivité de beaucoup, je voulais seulement m'assurer que vous ne travaillez pas trop…on ne vous voit plus tellement dernièrement, travaillez vous après votre quart?
Flavien se mordit le dedans de la joue: il ne voulait pas mentir… mais il ne voulait pas non plus décevoir le Capitaine.
-Je ne travaille pas les soirs, Capitaine, Finit-il par dire.
Il travaillait tôt les matins, de minuit à 5 heures, avant son quart techniquement…
Le Capitaine sourit.
-Vous êtes vraiment productif, Dit-il avec un regard brillant, Je ne sais pas ce qu'on ferait sans vous!
Un sourire timide illumina le visage du technicien radar.
-Merci, Capitaine, Dit-il simplement.
-On devrait aller souper, Ajouta le Capitaine, Si on veut qu'il en reste!
Les deux hommes se dirigèrent vers la cuisine, rejoignant le reste du groupe pour le repas.
Valence avait observé Flavien discrètement durant toute l'heure du souper. Il avait sa bonne humeur et son sourire habituel. À l'oeil nu, il n'y avait pas de signe quelque chose clochait, mais aux yeux de la psychologue entraînée, il y avait quelque chose d'inhabituel.. quelque chose qui lui faisait penser qu'il y avait plus sous la surface de cette expression joyeuse.
Flavien semblait toujours le même: Il faisait des blagues avec Serge et Bob, vouait le même repect amical au Capitaine qu'à l'habitude et, quand il pensait que personne ne le regardait, il jetait des petits regards doux et timides à Pétrolia, qui venait de sortir de regénérescence.
À sa grande surprise, il se prit une part de son pain baguette de viande (qui ne semblait pas intéresser personne d'autre, abandonné sur le comptoir) et lui fit un petit sourire.
Valence savait par contre que ses mouvements manquaient de précision. Il n'avait pas son adresse habituelle, il échappait ou cafouillait avec ses ustensils ou sa serviette de table et lorsqu'il marchait, ses pieds semblaient traîner sur le plancher.
La psychologue prit note de tout cela et se promit qu'elle approcherait Flavien dès le lendemain afin de cerner ce qui le dérangeait.
Après le souper, comme se l'était promis Flavien, il invita Serge à une petite partie de dames. Serge accepta avec enthousiasme. Flavien était le seul à bord qui puisse lui donner l'impression d'avoir un défi par sa capacité à anticiper et à réagir aux changements de stratégies de ses opposants. Aucun membre d'équipage ne pouvait battre l'opérateur radar et même avec Serge, cela finissait nul, plus souvent qu'autrement.
Les deux s'installèrent dans la Salle de Repos, où ils sortirent une petite table et deux chaises. La planche fut vite placée et ils commencèrent.
Les cinq premières parties finirent à égalité. Serge était particulièrement fébrile, il avait hâte de voir quels coups inattendus Flavien allait poser dans la sixième partie. Celui-ci paraissait concentré: Il ne parlait pas et fixait intensément la planche de jeu.
À la mi-partie, Serge réussit un coup de maître et récupéra six pièces de son adversaire.
-Yes! S'écria-t-il, Qui sera le vainqueur? Flavien, ou Sergeeee l'androïdeeeee!
Il ajouta des effets sonores: Une foule en délire.
Flavien fronça les sourcils. Il n'avait pas vu le coup de Serge venir. Il ne comprenait pas comment il avait fait pour manquer cela, c'était tellement évident... mais il sourit et félicita l'androïde pour son coup.
La partie finit quand même par être nulle.
À la huitième partie, Serge s'aperçut que son opposant, la tête dans sa main, avait l'air de se concentrer anormalement longtemps: 18.3 secondes de plus qu'à l'habitude, en moyenne, depuis les 5 derniers coups. Pourtant, l'androïde et lui n'avaient que quelques pièces restantes.
Il baissa la tête afin de voir le visage de Flavien, et vit que ses yeux étaient mi-clos, papillotant et combattaient le sommeil. Serge soupira. Les humains étaient si fragiles parfois, et souvent têtus. Si Flavien était trop fatigué pour jouer, Serge préférait attendre la prochaine fois. Il n'y avait aucun mérite à jouer contre un adversaire qui n'avait pas toutes ses capacités mentales.
-Flavien...
-Hmm?
L'opérateur radar leva le regard vers son ami.
-Si t'es trop fatigué, Dit l'androïde, on peut reprendre ça demain.
Les paroles du robot eurent l'air de réveiller soudainement le jeune homme.
-Hein? Non non! J'suis pas fatigué!
Serge le regarda un instant. Il pouvait ajouter "orgueilleux" aux qualités humaines. Il décida de ne pas insister sur la fatigue de son ami, mais de lui donner une excuse pour s'arrêter.
-J'ai des choses à faire, de toutes façons, Ajouta l'androïde, On finit demain?
Flavien acquiesça à contre-cœur. Est-ce que le robot s'était aperçu qu'il manquait de sommeil? Il secoua la tête et se leva. Il devait peut-être aller chercher un petit café avant la partie de Ouija avec Bob, question de ne pas être trop distrait. Il n'aimait pas le café, mais il avait commencé à en boire récemment… Juste temporairement, s'était-il dit.
Il se dirigea vers la cuisine, où il croisa Bob, enthousiaste de commander sa pizza.
-T'es tu prêt Flav? Lui demanda le Pilote avec un grand sourire béat.
-Oui oui, laisse-moi 5 minutes pis jte rejoins. Prépare ça mon Bob.
Bob s'éloigna en lui rappelant que ça faisait déjà une heure au complet qu'il n'avait pas mangé: Il avait une faim de loup!
Flavien sourit pendant que son ami sortait de la cuisine.
Cinq minutes plus tard, comme promis, Flavien rejoint Bob pour leur séance de Ouija. Il avait avalé un café et demi en vitesse et était maintenant prêt.
-On commence? Demanda Bob, impatient.
-Let's go, Confirma Flavien.
Bob et Flavien tendirent leurs mains au-dessus de la planche et se concentrèrent, les yeux fermés.
-Livreur de pizzas, Commença Bob avec un air solennel, Amène-Nous une couple de larges all dress… extra T-Bone!
Il réfléchit un instant, puis ajouta:
-Amène donc un ordre de wings pis un Coke… Diète, jsuis au régime là.
Flavien eut un sourire en coin mais ne dit rien.
Ils se concentrèrent une minute de plus, puis Flavien entrouvit les yeux.
-Ça a tu marché tu penses? Demanda-t-il à son ami.
Bob ouvrit ses yeux à son tour.
-J'sais pas. La dernière fois yé venu même s'il avait dit qu'il viendrait pas…
Flavien se leva et s'étira.
-Bon ben, on va attendre pis on verra bien.
-Mouins…
Bob se leva à son tour. Il se dit qu'il aurait mieux fait de commander plus tôt. Il avait la mauvaise impression qu'il n'aurait son ordre que bien plus tard… ce qui était bien dommage, car il avait vraiment faim.
Il alla pour proposer à Flavien d'aller se chercher une couple de poulets rôtis à la cuisine, mais lorsqu'il ouvrit la bouche pour parler, il s'aperçut que son ami était appuyé sur l'échelle de son lit, vacillant légèrement. Sa tête était baissée et ses yeux étaient clos.
-Flavien… Flavien, dors-tu?
L'opérateur radar ouvrit les yeux et leva la tête lentement.
-Hein?
-T'avais les yeux fermés… dormais-tu?
Flavien réfléchit une seconde, cherchant une excuse.
-Je me concentrais, finit-il par dire, J'pensais que j'avais entendu un bruit.
Il espérait que son ami allait le croire. En fait, il s'était presque endormi debout. Il allait devoir faire plus attention, ou Valence allait finir par le pogner.
-T'as entendu le livreur de pizza? S'enquérit Bob.
-C'tait pas lui…
-Oh…
Bob avait l'air déçu mais il haussa les épaules. Ça viendrait.
-On va tu voir à la cuisine en attendant?
La soirée avait passé et les deux amis n'avaient eu aucune nouvelle du livreur de pizza. Une fois les lumières fermées pour la nuit, Flavien fit semblant de dormir comme à son habitude, attendit que tout le monde soit assoupi puis se leva.
Il tendit l'oreille. Après une dizaines de secondes, il déduit que, par le bruit de crayon sur du papier, le Capitaine remplissait son journal de bord. Le champs était libre pour aller dans la Salle des Machines. Il empoigna ses souliers et s'éclipsa sans bruit.
Plusieurs heures passèrent et Flavien achevait de nettoyer le conduit d'alimentation du moteur auxiliaire. Il avait passé la nuit là-dessus et devait se dépêcher de tout remettre en place avant d'aller se coucher. Il tombait de fatigue et se concentrer sur sa tâche devenait de plus en plus difficile. S'il pouvait se rendre à sa petite heure de sommeil...
Il finissait de remettre le dernier écrou, lorsqu'un bruit étrange lui fit lever les yeux.
Il tendit l'oreille et se mit en mode d'écoute.
Le bruit étrange revint… c'était comme des pas, mais cela ne sonnait pas comme la démarche d'aucun des membres d'équipage, qu'il connaissait par cœur. Il y avait aussi un grincement, comme des roues mal huilées qui roulent, mal alignées.
Flavien se mit debout et avança d'un pas.
La porte s'ouvrit, puis se ferma toute seule. Puis ses outils se mirent à voler autour de lui, dansant et flottant n'importe où.
-P...pas encore, Bégaya le jeune homme.
Le Capitaine Fafard était-il revenu?
Il recula jusqu'en arrière du moteur auxiliaire et fixa les objets qui ne cessaient de voler.
-Cap… Capitaine Fa-fa-fa-fard? Bégaya-t-il.
/Quessé j'vas faire, j'ai ben trop la chienne!/
Il se demanda s'il devait déclencher l'alarme, mais une voix se fit entendre.
-Je suis le livreur de pizza, Fit une voix un peu trop sinistre au goût de Flavien, Je remplace Tonio… Je m'appelle Livio.
-A...Ah? Répondit l'opérateur radar, peu rassuré.
-Vous avez commandé… une couple de larges extra T-Bone, des wings et un Coke diète?
-Oui…
-Ça va faire 98,50 $.
Flavien osa contourner le moteur auxiliaire et aperçut le livreur, blême et presque gris. Il était plus grand que Tonio mais portait le même manteau avec le logo de la pizzeria. Il était musclé, presque barraqué, avec des cheveux de surfer, des sourcils épais et une mâchoire carrée. Derrière lui se trouvait une charrette qui contenait toutes les boîtes de pizzas et les divers paquets enveloppés de papier brun. Une grosse bouteille de Coke diète était déposée à l'arrière.
Flavien fouilla dans ses poches et trouva quelques billets, mais pas suffisamment pour payer.
-P… prenez-vous la carte? Demanda-t-il d'une voix tremblotante.
Le spectre fronça ses grands sourcils.
-On utilise pas le débit ou crédit loin comme ça dans l'espace: La connexion ne se fait pas.
Le technicien radar fit un sourire gêné.
-Euh… c'parce qu'on utilise pas vraiment du cash dans l'vaisseau…
Livio prit un air furieux. Il n'était pas question qu'il s'en aille sans son argent.
-Vous voulez me dire que j'ai fait tout ce chemin là pis vous pouvez même pas me payer? S'écria-t-il, s'avançant d'un pas menaçant.
-Euh… b-ben c-c'est parce que… euh...
Flavien bégayait, ne sachant pas trop quoi répondre.
Le spectre s'approcha de lui, à quelques centimètres de son visage.
-Eh bien soit! Je vais rester ici jusqu'à ce que je sois payé… pis même, j'pense que j'vais même m'installer sur ce vaisseau quelque temps, j'en ai assez de travailler comme livreur! On se fait pas assez payer pour avoir à gérer tous ces clients difficiles.
Il prit une grande inspiration et regarda autour de lui, inspectant la pièce.
-J'ai besoin de vacances et ce vaisseau m'a l'air parfait pour avoir la paix, ajouta-t-il avec un petit sourire.
-Hein? V-v-vous y pensez pas? Le Capitaine voudra jamais!
Le spectre leva un sourcil.
-Je me fiche du Capitaine. Je reste ici.
Flavien réfléchit un instant. Ils avaient réussi à se débarrasser du Capitaine Fafard en ignorant sa présence. Peut-être que s'il faisait la même chose avec Livio?
-Bon ben j'ai fini de travailler, dit le jeune homme en s'étirant, ma aller me coucher moi là!
Il regarda vers la porte puis ignora le spectre en ramassant ses outils d'un air nonchalant. Il espérait que Livio n'allait pas lui casser la figure, il était un peu trop imposant à son goût. Il évita de poser ses yeux sur le livreur, espérant que ça fonctionne.
Malheureusement, Livio éclata de rire.
-Ça ne fonctionne pas avec moi, ricana-t-il sinistrement.
Flavien se sentit devenir blême. Il continua tout de même à ignorer le spectre.
-Je suis un spectre sans denier devoir à accomplir, expliqua Livio avec certitude, Les vivants n'ont aucun pouvoir sur moi…
L'opérateur radar serra les dents.
/Quessé j'vas dire au Capitaine moi?/
À suivre.